Le lien entre la loi de décembre 2013 et celle de novembre 2010
Incontestablement le débat autour de la pénibilité au travail à été renforcé dans les entreprises qui se sont engagées dans une démarche de prévention : que deviennent les plans d’actions ou les accords signés dans le cadre donné par la loi de 2010 ? La majorité d’entre eux a été signée pour 3 ans (2012/2015) : n’y a-t-il pas un risque de perte de crédibilité auprès du personnel et un risque d’exploitation par les non signataires en cas de modifications profondes des seuils de pénibilité ? Offrira-t-on la possibilité d’une transition pour les entreprises concernées ?
La fixation des seuils par décret
Si les facteurs de pénibilité restent ceux de la loi de 2010, la nouvelle loi prévoit que les seuils de pénibilité seront fixés par décret afin de limiter les interprétations possibles. Certains seuils sont connus, ont fait l’objet d’études indiscutables et alimenteront peu les débats (ex : le bruit). D’autres facteurs, en revanche, restent discutables : existe-t-il une possibilité de négociation par les partenaires sociaux ?
Exemple du port de charge : ce sont les conditions du port de la charge (état du sol, déplacement avec rotation, déplacement avec dénivellation, postures de manutention, durée du port etc.) qui induisent des différences de seuil. Ces précisions sont très souvent apportées par des normes, des usages, des avis d’experts…
Le dilemme entre prévention et réparation
La loi vise la suppression des facteurs de pénibilité et la réduction du nombre de salariés exposés : une cotisation générale plus une cotisation supplémentaire selon le niveau de pénibilité dans l’entreprise est envisagée. Dans le contexte actuel, certains facteurs seront impossibles à supprimer (ex : travail de nuit ou en équipes alternées). Les entreprises engagées dans la prévention amélioreront donc les conditions de travail sans faire diminuer le nombre de personnes exposées à la pénibilité. Elles devront régler la cotisation générale ainsi que la cotisation supplémentaire mais également financer l’investissement de prévention. Un dilemme existe entre la poursuite de l’investissement d’amélioration des conditions de travail et le financement de la compensation et de la réparation qui s’applique indifféremment aux efforts engagés. De plus, l’industrie sera lourdement touchée en raison de la pénibilité très répandue. Tout dépendra donc du niveau de la cotisation supplémentaire. Ne faut-il pas protéger l’industrie ?
L’équité de la loi
- La loi ne s’applique pas au personnel des entreprises publiques :
Par exemple, les infirmières sont exposées à certains critères de pénibilité -travail de nuit ou en équipes alternées, ports de charge…- mais ne seraient pas concernées par cette loi.
- La loi n’est pas rétroactive :
Dans le privé et plus spécifiquement dans l’industrie, la loi n’est pas rétroactive au delà de 52 ans ou des dispositions de doublement des points sont prévues. Le problème se pose pour les personnes en dessous de cet âge, qui n’auront pas le temps d’accumuler des points dans le compte personnel alors que dans le même temps la durée des cotisations pour l’obtention d’une retraite à taux plein va augmenter. Comment va être prise en compte la problématique des salariés de moins de 52 ans, trop âgées pour cotiser suffisamment sur le compte pénibilité mais ne bénéficiant pas, pour l'instant, de prise en charge spécifique leur permettant d’accumuler des points donnant droit à compensation ?
- La poly exposition :
Dans les entreprises industrielles, organisées en équipes alternantes avec bien souvent une exposition partielle en équipe de nuit, le personnel est directement concerné par deux facteurs. Cela donne deux points au lieu d’un seul comptabilisé dans le compte personnel de prévention. Pourtant il n’est pas rare de trouver des salariés exposés à 5 facteurs mais qui échappent au « radar » des seuils. Les points ne sont pas accumulés pour autant.
- La difficulté d’application pour le personnel intérimaire :
La gestion du compte personnel de prévention de la pénibilité sera délicate et très lourde administrativement notamment sur les missions de courtes durées. Le personnel sera également tributaire de la déclaration de l’entreprise utilisatrice sachant que cette tâche ne sera pas aisée dans les PME.
- La spécificité des entreprises multinationales :
Une entreprise internationale peut identifier un site où le travail est considéré comme pénible, du fait de son organisation, avec des dispositions particulières concernant son personnel, alors que le même site implanté à l’étranger ne sera pas considéré comme pénible.
Les ambiguïtés du compte personnel
- Le droit à la formation :
Les 20 premiers points du compte personnel de prévention de la pénibilité devant être consacrés à la formation, que se passe-t-il si le salarié concerné demeure dans un travail pénible à la suite de sa formation ? Pourra-t-il accumuler de nouveaux points pour atteindre les 100 points et bénéficier de la sorte de 10 trimestres de retraite ?
- Les ruptures de carrière :
Le décompte des points contenus dans le compte personnel s'établissant par trimestre, que se passe-t-il en cas d’absentéisme ou d’arrêt maladie (dû notamment au fait de travailler dans un environnement pénible…) ?
Le rôle des branches professionnelles
La pénibilité est abordée de manière individuelle et entreprise par entreprise. Pourtant, trois questions se posent qui impliquent directement les branches :
- Comment concilier une démarche de prévention qui implique une action collective au niveau des conditions et de l’organisation du travail et une approche individuelle de la pénibilité ?
- Un poste reconnu comme pénible dans une entreprise ne le sera pas forcément dans une autre ne donnant ainsi pas lieu à des points comptabilisés dans le compte personnel : une harmonisation au niveau des branches sera-t-elle possible ?
- Même question concernant les seuils devant être harmonisés : le seront-ils au niveau national ou par branche suite à une négociation entre partenaires sociaux ?
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