Quelle écoute pour quelle prévention ?

Quelle écoute pour quelle prévention ?

Dans de nombreuses entreprises, la prévention des risques professionnels est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression : la mise en place d’un numéro vert, souvent sous-traité à des prestataires extérieurs. Ce dispositif, qui relève de la prévention tertiaire, peut certes rendre des services à des salariés en détresse. Mais il reste profondément insuffisant, voire contre-productif, s’il devient l’unique réponse apportée par l’employeur aux maux qui rongent l’organisation du travail.

Une écoute sous-traitée : un leurre de prévention ?

Le numéro vert d’écoute psychologique est devenu un réflexe pour de nombreux dirigeants. Il est simple à mettre en œuvre, valorisable en interne comme en externe, et donne l’apparence d’une entreprise soucieuse du bien-être de ses salariés. Pourtant, cette solution est avant tout une forme de gestion des apparences, qui occulte les responsabilités profondes de l’employeur en matière de prévention.

Déléguée à des psychologues ou à des associations extérieures, cette écoute reste décorrélée de la réalité du travail vécu dans l’entreprise. Elle ne permet ni une analyse fine des causes organisationnelles de la souffrance, ni une transformation durable des conditions de travail. C’est une écoute hors-sol.

Le risque du « tout-numéro-vert »

Outre sa facilité d’implantation, le dispositif est souvent mis en place sans réelle concertation avec les représentants du personnel, voire à leur insu. Résultat : perte de confiance, soupçons sur l’indépendance des prestataires, absence de légitimité. Car qui peut recommander à un salarié de parler de sa souffrance à une structure dont on ignore les méthodes, la déontologie, les engagements éthiques ?

En matière de prévention, la confiance ne se décrète pas. Elle se construit, notamment en associant les représentants des salariés aux choix des dispositifs mis en œuvre. Et en posant cette question fondamentale : de quelle écoute avons-nous réellement besoin ?

L’écoute des travailleurs : un principe de prévention oublié

La prévention ne peut se résumer à la prise en charge psychologique d’individus « abîmés » par le travail. Elle doit viser en priorité à éviter les risques à la source, à améliorer les conditions d’exercice du travail, à adapter l’organisation aux personnes. C’est ce que rappelle l’article L.4121-1 du Code du travail.

Pour cela, il est indispensable de replacer l’écoute du travail réel au cœur de toute politique de prévention. Pas une écoute à distance, externalisée, aseptisée. Mais une écoute proche du terrain, capable de recueillir la parole des salariés sur ce qu’ils vivent, sur ce qui fait difficulté, sur ce qui abîme. L’écoute du dedans, en somme, qui donne du sens, de la légitimité et ouvre des voies d’action concrètes.

Une réforme nécessaire du Code du travail

Avec plusieurs professionnels de la prévention, nous avons récemment signé une tribune dans Le Monde pour appeler à une réforme majeure : faire de l’écoute des travailleurs un principe fondamental de la prévention. Cela implique une modification de l’article L.4121-2 du Code du travail afin d’y intégrer explicitement l’obligation pour l’employeur d’organiser l’écoute régulière des salariés sur leur vécu au travail.

Pourquoi ? Parce qu’on ne peut prévenir ce que l’on ne voit pas, ce que l’on n’entend pas, ce que l’on refuse d’interroger. Et parce que les outils de prévention ne valent que s’ils s’inscrivent dans une politique cohérente, articulant les trois niveaux d’action :

  • la prévention primaire, qui agit sur les causes organisationnelles,
  • la prévention secondaire, qui accompagne les équipes face aux tensions,
  • la prévention tertiaire, qui prend en charge les cas individuels de souffrance.

C’est cette approche en faveur d’une prévention efficiente en santé et génératrice de marges pour l’entreprise que nous analysons dans le livre publié par Jean-Claude Delgènes, Président-fondateur, aux éditions Eyrolles « Faire Face aux risques psychosociaux : un guide pratique pour comprendre prévenir et agir »

L’écoute du travail réel : une responsabilité collective

Il est donc impératif d’en finir avec les politiques de prévention réduites à des dispositifs d’urgence psychologique. Ce type de solution ne peut être qu’un complément, non un socle. L’entreprise ne peut s’exonérer de ses responsabilités en déléguant l’écoute à un prestataire extérieur.

Écouter, c’est donner la parole, reconnaître les alertes, accepter de modifier l’organisation. Cela suppose du courage, une volonté de dialogue, un respect réel des représentants du personnel et un engagement à construire des conditions de travail soutenables.

La prévention est un levier stratégique : elle améliore la santé des salariés, renforce l’engagement, diminue le turnover et les arrêts maladie. Elle est aussi une exigence réglementaire, comme le rappelle l’INRS :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »

Pour une prévention fondée sur l’écoute active et partagée

Nous appelons donc à un changement de paradigme : ne plus faire de la prévention un simple affichage, mais une démarche collective et continue, fondée sur une écoute interne, légitime, structurée et ancrée dans le réel du travail. Car ce n’est qu’en écoutant vraiment que l’on peut prévenir efficacement.