Télétravail et contrôle du temps de travail : tous les moyens sont-ils légaux ?

Si le télétravail a souvent suscité dans la culture française de nombreuses craintes de la part de certains employeurs et managers, la crise sanitaire est venue changer la donne. Or, les entreprises n’étaient pas prêtes (ou suffisamment préparées) pour opérer ce changement aussi brusquement. Pourtant, la mise en place du télétravail demande du temps, afin qu'employeurs et salariés puissent réfléchir à une organisation du travail satisfaisante et conforme aux règles légales. Les managers souhaitent continuer à suivre le travail effectué par leurs équipes et les difficultés rencontrées. Les salariés se retrouvent confrontés au fait de travailler seuls sans contact physique direct avec leurs collègues et responsables et cela peut perturber leurs repères. L'isolement brutal qu'a provoqué le confinement a eu des conséquences physiques et mentales sur certains salariés (les médecins s'attendent à une recrudescence des consultations psychiatriques d'ici septembre).

Par ailleurs, la presse a fait écho de nombreuses dérives dans le contrôle du temps de travail des salariés et du droit à la déconnexion (l'employeur prétextant le plus souvent vouloir seulement veiller à la santé de ses salariés).

Un contrôle légitime et proportionné

Quel que soit le type de contrôle que l'employeur va mettre en place, il ne peut apporter aux droits des salariés et à leurs libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché (art. L1121-1 du code du travail). De plus, tout contrôle doit respecter la vie privée des salariés (art. 9 du code civil). La mise en œuvre d’un système de surveillance doit donc s’effectuer de façon adéquate, pertinente, non excessive et strictement nécessaire à l’objectif poursuivi.

Un contrôle légitime

Les contrôles dont il est question sont ceux que l'entreprise instaure sur les outils mis à la disposition des salariés pour leurs besoins professionnels (ordinateur, tablette, téléphone mobile, GPS, etc.). L'employeur peut ainsi s'assurer du respect :

- Des règles posées pour l'utilisation de ces outils par le règlement intérieur ou tout autre document apparenté (ex. : un usage à titre privé est autorisé mais dans des proportions raisonnables), comme une charte informatique, notamment pour assurer la sécurité des données de l'entreprise et l'encombrement du réseau,

- Du caractère professionnel des courriels, fichiers, connexions…

- Du respect des règles posées en matière de déconnexion dans l'entreprise.

Contrôler l'utilisation des outils personnel

La crise du coronavirus n’exonère pas l’employeur de respecter les règles qui protègent la vie privée de ses collaborateurs. Un système d’auto-déclaration ou un logiciel de pointage sur l’ordinateur peut être installé. Mais il ne pourra pas l’être dans la précipitation sous prétexte que le télétravail est devenu impératif pendant le confinement. De même, un outil de traçage comme un keylogger (enregistreur de frappe) n’est pas en soi interdit pour contrôler l’activité des salariés, à condition toutefois de respecter un certain formalisme comme l’information du CSE par exemple, conformément à l’article L. 2312-38 du code du travail, et à condition de pouvoir démontrer des circonstances exceptionnelles qui justifient d’enregistrer toutes les actions accomplies sur un ordinateur, notamment un fort impératif de sécurité. L’article L. 1222-4 du code du travail prévoit une obligation de loyauté : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».

Droit à la déconnexion

Depuis le 1er janvier 2017, les entreprises ont dû négocier le droit à la déconnexion des salariés ou élaborer une charte (art. L2242-8 du code du travail). Ces documents peuvent contraindre les salariés à la déconnexion et prévoir des dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, afin d’assurer le respect des temps de repos et de congé, ainsi que de la vie personnelle et familiale. Le respect du droit à la déconnexion peut justifier le suivi du temps de travail du télétravail par l'employeur mais en aucun cas les abus qui ont pu être constatés par l'exigence d'une traçabilité de toute activité sur l'ordinateur.

Rôle des représentants du personnel

Le télétravail peut être exécuté dans le cadre d’un accord collectif (art. L1222-9 du code du travail) ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE, s'il existe.

Comme le télétravail constitue un aménagement important modifiant les conditions de travail, de santé et de sécurité, le CSE peut faire appel à un expert habilité pour analyser ce projet important d’organisation du travail ainsi que les outils de contrôle associés (art. L2315-94 du code du travail).

On soulignera que pour la CNIL, les outils personnels ne peuvent être utilisés dans un cadre professionnel qu’à titre subsidiaire.

En fonction des données sensibles de l’entreprise, certains utilisateurs devront utiliser un réseau VPN afin de sécuriser la connexion. La question se pose pour les petites entreprises qui investissent rarement dans des solutions de sécurité coûteuses et choisissent souvent des solutions plus économiques, voir gratuites. L’éditeur de sécurité Kaspersky a d’ailleurs constaté une hausse des attaques dans le monde depuis le recours massif au télétravail. Les pirates informatiques s’adaptent constamment et ils ont vite pris conscience que plus il y a de salariés qui travaillent de chez eux, plus il est facile de voler des données sensibles, et effectuer des demandes de rançon aux entreprises qui n’auront d’autres choix parfois de payer, prises au dépourvu.

L’employeur doit donc faire attention à ne pas négliger cet aspect sensible du télétravail et garantir l'utilisation d'ordinateur professionnel.

Télétravail et activité partielle : attention à l’épidémie de fraudes, l’inspection du travail veille !

Le dispositif français d’activité partielle (chômage partiel) place la France en tête des États d’Europe les plus protecteurs vis-à-vis de leurs salariés.

Il permet aux entreprises qui connaissent une baisse d’activité de placer leurs salariés en chômage total ou partiel en leur versant une indemnité garantissant un revenu de remplacement à hauteur de 84% de la rémunération nette (voire plus selon les accords notamment de branche).

Dans le cas où le salarié continue à travailler certaines heures, celles-ci doivent être rémunérées normalement par l’employeur et n’ouvrent pas droit au versement de l’allocation d’activité partielle.

Attention donc ! Les entreprises seront fermement sanctionnées si elles établissent de fausses déclarations d’heures d’activité partielle, par négligence ou sciemment. Dans tous les cas, cela s’apparente à une fraude et peut être qualifié de travail illégal.

Pour les entreprises tentées d’utiliser le dispositif du chômage partiel pour leurs salariés qui continuent néanmoins à travailler (télétravail en particulier), le ministère du Travail a invité ces derniers et les représentants du personnel à le signaler à la DIRECCTE. 

Pourtant, certains salariés placés en chômage total se retrouvent dans la situation inconfortable de mise sous pression par leur employeur leur demandent de poursuivre leur activité en télétravail au motif qu’« il ne faut pas perdre de clients », qu’il leur sera compliqué de retrouver un emploi pendant la crise économique qui va suivre, que sinon l'entreprise court dans tous les cas à la faillite... Ceci est totalement illégal !

Comment le contrôle sera-t-il effectué ?

Le Ministère du travail a d’ores et déjà prévu que de nombreux contrôles seront réalisés par l’inspection du travail après la crise sanitaire :

- A la suite des remontées des salariés ou des élus du personnel qui auraient connaissance de pratiques de travail illégales,

- Lors de la vérification de la conformité des demandes d’activité partielle et du respect de ce dispositif, via en particulier le contrôle des décompte-temps, tant pour les salariés placés au chômage partiel total, que pour ceux qui ont cumulé télétravail partiel et activité partielle.

L'URSSAF pourra aussi effectuer des contrôles.

Quels sont les sanctions encourues par l’employeur en cas de fraude ?

L'employeur qui aura commis une fausse déclaration encourt notamment :

- Le reversement des aides perçues au titre des heures indûment perçues par l’employeur,

- Une interdiction de bénéficier pendant 5 ans d’aides publiques,

- Des sanctions pénales pour fausses déclarations : jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30.000 € d'amende,

- Un redressement par l'URSSAF sur le montant des indemnités d’activité partielle versées aux salariés, soumises à cotisations salariales et patronales au titre de salaires versés en contrepartie du travail effectué avec le risque de majoration complémentaire de 40% sur la totalité du redressement pour dissimulation d’activité si plusieurs salariés étaient concernés,

- Un recours des salariés qui pourront réclamer un rappel de salaire correspondant à la différence entre le montant du salaire qu’il aurait dû percevoir et le montant de l’indemnité d’activité partielle qui lui a été versée, ainsi que d’éventuels dommages et intérêts pour différents préjudices (travail illégal, exécution déloyale du contrat de travail...

- Des sanctions pénales pour travail dissimilé : jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45.000 € d'amende (225 000 € s'il s'agit d'une société),

- Des peines complémentaires.

Il est donc très important de décompter la durée du travail des salariés en chômage partiel réduit ou en télétravail dans ce contexte de la crise liée au Covid-19. Car l'absence de décompte peut avoir des incidences graves tant pour l’entreprise, y compris pour son image qui serait fortement entachée, que pour le salarié dans le juste paiement de son travail et des droits y afférents.

Certaines entreprises n'ont pas d’accord collectif sur le télétravail. N'ayant pas l'habitude de ce mode de travail, elles ne procèdent à aucun contrôle ni décompte du temps de travail des salariés placés en télétravail du jour au lendemain. Cela fait pourtant partie des obligations de l'employeur (art. D3171-1, D3171-8, D3171-9 et D3171-10 du code du travail). Ce dernier devra fournir les décomptes à l’inspecteur du travail qui se présentera dans l’entreprise pour vérifier, après la crise sanitaire, que les heures chômées déclarées et indemnisées correspondent à la réalité. Ces décomptes devront correspondre à la réalité, et ne pas avoir été établis pour les besoins de la cause. L'inspecteur du travail pourra entendre les salariés pour s’en assurer. Ce décompte pourra aussi permettre à l’inspecteur du travail de vérifier le respect des règles relatives aux durées maximales journalières et hebdomadaires du travail et au repos hebdomadaire.

Les craintes actuelles et légitimes des employeurs peuvent les pousser à la négligence. Mais ils ne doivent pas se laisser aller à la déloyauté notamment vis-à-vis de l’Etat qui a mis en place ce dispositif reposant sur l’entraide et à la solidarité. Respecter la règle du jeu est nécessaire, la contourner pourrait engendrer des impacts bien plus lourds pour les entreprises et donc les salariés.

Suivons donc la règle du jeu : loyauté, respect et solidarité.