L'expertise CE et CHSCT peut permettre au dialogue social d'évoluer, à condition que l'expert « se donne les moyens d'assurer l'écoute de chacune des parties et de favoriser l'appropriation des conclusions par tous », estime Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia. Le cabinet d'experts en risques liés au travail a mené avec le sociologue Henri Vacquin une étude consacrée à « l'apport de l'expertise au travail syndical et au dialogue social » (AEF n°191167). Il revient pour AEF sur les conclusions de cette étude.
AEF : Comment l'expert peut-il favoriser la recherche de solutions consensuelles ?Jean-Claude Delgènes : Parfois, il faut bien le souligner, même en cas de prévention, le consensus n'est guère possible. Parfois, à l'inverse, il peut être à portée de main. C'est plus aisé de prévenir les risques avec un cadre plus apaisé aussi. Nous prônons la concertation en amont sur le cahier des charges, pour que les acteurs se mettent d'accord sur le chemin à suivre, l'objectif recherché, et les échanges en cours de mission. Les conclusions sont certes très importantes, mais le chemin parcouru aussi, car il permet d'échanger, d'impliquer les acteurs… Se mettre d'accord dès le départ sur le cahier des charges permet à l'expert de se situer comme tiers préventeur, dans un rôle d'équidistance et de neutralité, pour entendre chacune des parties et être en mesure de peser sur le résultat final. Il faut entendre pour impliquer, co-construire pour prévenir ensemble les risques professionnels.L'émergence d'un consensus dépend aussi du contexte dans lequel s'inscrit l'expertise. Si l'on exclut l'expertise CE, qui est bien balisée, l'expertise CHSCT peut intervenir dans des cas bien distincts. La démarche d'expertise « post-traumatique », en cas de risque grave avéré, est bien acceptée par tous les acteurs, y compris la médecine du travail et la direction. Quand il s'agit d'une expertise pour projet important, la situation diffère selon que sont prévues ou non des suppressions d'emplois. S'il s'agit d'un projet important sans suppression de postes (déménagement, nouveau système informatique, etc.), l'expert peut favoriser la recherche de solutions. En revanche, en cas de plan social, il y des tensions très fortes, car les organisations syndicales essaient de limiter la casse, et peuvent instrumentaliser certains outils. De plus, on assiste à un choc des temporalités entre la direction, qui réfléchit au projet depuis des mois, et le management intermédiaire, les organisations syndicales et les salariés, à qui on demande de le mettre en oeuvre très vite. Dans ce cadre, il est très compliqué de développer des pratiques d'expertise consensuelles.
AEF : Quels effets l'expertise produit-elle sur le dialogue social dans l'entreprise ?
Jean-Claude Delgènes : L'expert ne produit pas le dialogue social qu'il trouve lorsqu'il intervient dans une entreprise. En revanche, l'expertise peut permettre au dialogue social d'évoluer. Mais cela n'est possible que si l'expert se donne les moyens d'assurer l'écoute de chacune des parties et de favoriser l'appropriation des conclusions par tous, les représentants des salaries mais aussi y compris le haut management en utilisant un langage compréhensible et en recherchant des applications concrètes. L'expertise est l'occasion de mettre en débat la problématique du travail dans toutes ses composantes.
AEF : L'étude insiste sur l'importance de la restitution des conclusions de l'expertise aux salariés. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Claude Delgènes : Les pratiques sont très variables d'une entreprise à l'autre. Nous avons récemment mené une expertise dans un grand groupe où ont été organisées des restitutions orales en AG. Le contact direct entre salariés, DRH, médecin du travail et expert permet une mise en débat des problèmes, un éclaircissement de nombreux points. C'est là un véritable apport de l'expertise au travail syndical : la restitution auprès des salariés, selon les modalités les plus appropriées, est l'occasion de mettre en débat le travail. Les partenaires sociaux cherchent aujourd'hui à permettre aux salariés de s'exprimer sur leur travail ; c'est l'objet de l'ANI sur la qualité de vie au travail. Ils ont avec l'expertise CHSCT un cadre déjà institutionnalisé à partir duquel favoriser l'expression sur le travail. Encore faut-il se l'approprier et négocier dès l'amont les possibilités de restitution.
Cela dit, la restitution est une étape très importante, mais pas suffisante. Elle permet de donner une représentation commune à tout le monde, et peut susciter des déblocages. Mais dans les situations que j'appelle enkystées, c'est-à-dire quand il y a une profonde dégradation des conditions de travail, l'expertise ne peut pas régler tous les problèmes. Il faut un plan d'action, une phase d'implémentation des mesures, puis une évaluation des effets. C'est par exemple la méthode qui a été choisie chez Renault ou chez France Télécom. Au-delà, nous pensons qu'il faudrait capitaliser sur les apports de l'expertise, en échangeant entre acteurs, sur le modèle des « entretiens de Bichat ». |