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Le travail de nuit, nouveau cancérogène ?

25 juillet 2012

 

 

 

 

 

 

 

Le risque de cancer du sein est significativement augmenté de 30% chez les femmes travaillant la nuit ! Voilà les conclusions d’une étude menée par L’INSERM et publiée le 18 juin 2012. Ces résultats confirment les présomptions déjà avancées par le CIRC en 2008 et par d’autres études menées depuis les années 2000.  Ainsi, le travail de nuit, par les perturbations induites au niveau du fonctionnement biologique de l’être humain serait un facteur de risque majeur concourant à des déclarations de pathologies cancéreuses préférentiellement pour l’instant chez la femme. En effet, compte tenu de la spécificité du fonctionnement hormonale des femmes (maternité), ce risque s’est cristallisé sous forme de cancer du sein.

 

Le facteur de risque passe à 50% dans le cas de femmes qui ont travaillé de nuit avant leur premier enfant car leurs cellules mammaires sont incomplètement différenciés et par conséquent plus sensibles à des perturbations. Plus précisément, le risque de développer un cancer du sein est augmenté chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans. Les femmes travaillant avec un rythme de travail fondé sur moins de 3 nuits par semaine sont aussi touchées.

 

Le cancer du sein

D’après l’INSERM, le cancer du sein touche « 100 femmes sur 100 000 par an dans les pays développés. Chaque année, plus de 1,3 million de nouveaux cas sont diagnostiqués dont 53 000 en France. Les facteurs de risque de cancer du sein sont variés. Ils incluent des mutations génétiques, un âge tardif à la première grossesse, une faible parité ou encore les traitements hormonaux mais les facteurs liés au style de vie, les causes environnementales ou professionnelles du cancer du sein ne sont pas complètement identifiés. »

 

En 2008, les études du CIRC avaient porté essentiellement sur les infirmières et les hôtesses de l’air. En effet, les métiers les plus impactés par le travail alterné se trouvent majoritairement dans les secteurs de la santé, de l’industrie, des transports, des communications.

 

Le travail de nuit des femmes

Dès 1892, le travail de nuit des femmes était interdit en France afin de les préserver de conditions de travail extrêmement pénibles. A l’époque, il s’agissait aussi de mettre le travail masculin à l’abri de la concurrence féminine. Cette situation dura jusqu’en 1999, année où la France fut condamnée par Bruxelles pour cette entorse à « l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans l’accès à l’emploi, la formation et la promotion professionnelles et les conditions de travail ». Sous peine d’astreinte financière, La France devait assurer la mise en conformité du droit du travail avec le droit européen. Deux solutions possibles se présentaient au gouvernement de l’époque : soit interdire le travail de nuit pour tous les salariés (ce qui apparaissait difficilement compatible avec la réalité et les besoins économiques), soit l’autoriser pour les femmes dans une logique d’égalité. Cela fut réalisé en 2002.

 

Le sommeil, comment ça marche ?

L’homme est un animal diurne : l’horloge biologique, logé dans notre cerveau, régule l’alternance harmonieuse du jour et de la nuit et rythme le fonctionnement de notre organisme, notamment les sécrétions hormonales. La luminosité, comme le bruit, est l’un des principaux stimuli et permet de synchroniser les grands rythmes biologiques : elle active ou inhibe les réactions physiologiques de notre organisme. La journée, notre cerveau est vigilant et enregistre les messages du monde extérieur ; nos performances physiques et mentales sont maximales. En fin de journée, quand la luminosité commence à baisser, commence alors la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil. La température du corps s’abaisse. Ce sont les premiers signes de l’endormissement. Tous  ces stimuli sont décodés par le cerveau qui décide alors de basculer en phase de sommeil. Le cerveau va traiter, classer les informations accumulées au cours de la journée, consolider la mémoire, reconstituer le stock en énergie nécessaire à son bon fonctionnement dans la journée. La plupart des hormones comme la mélatonine ou  le cortisol sont sécrétées durant la nuit. A l’approche du réveil, le cerveau aura reçu tous les éléments nécessaires à son fonctionnement diurne.

 

Dès lors,  il est aisé de comprendre que le fait d’être exposé à la lumière durant la phase nocturne entraîne des conséquences non seulement au niveau psychique mais aussi physiologiques par la perturbation des rythmes circadiens et chrono biologiques. La sécrétion de la mélatonine est alors perturbée,  inhibée en présence de lumière. Cette hormone est importante dans la régulation cellulaire. Puissant antioxydant, elle élimine les radicaux libres favorisant la synthèse de l’ADN. Ainsi, le mécanisme de divisions cellulaires se réalise avec beaucoup moins de risques d’erreurs et permet ainsi la production de cellules « normales ». Elle renforce la réponse immunitaire et enfin, elle régule la production d’œstrogènes dont l’imprégnation prolongée peut augmenter le risque de cancer du sein chez la femme…

 

Le travail de nuit cancérogène pour les femmes : et pour l’homme ?

Une littérature abondante démontre qu’au-delà des sexes, ce type de travail est néfaste pour la santé à plus ou moins long terme : troubles du sommeil, problèmes de récupération, fatigue, consommation de médicaments pour dissiper la fatigue... Plus encore, le travail de nuit induit une mutation et un déséquilibre nutritionnels laissant place à des troubles digestifs  chroniques : le comportement alimentaire se modifie et n’est plus en phase avec le fonctionnement physiologique naturel de l’organisme. A plus long terme, cette « dette de sommeil » favorise l’usure de l’organisme. Elle est également un facteur de surpoids, d’hypertension artérielle, et de tout un ensemble de perturbations biologiques. Certaines études du CIRC font d’ailleurs un lien entre le travail de nuit posté et la probabilité de cancers colorectaux sans distinction de sexe.

 

Au-delà des aspects de santé physique, ces décalages entre la vie professionnelle et la vie familiale et personnelle génèrent du stress (à l’origine d’un risque accru de dépression), un sentiment d’isolement et de nombreuses perturbations sur la vie sociale et familiale (problèmes de transport, de gardes d’enfants, répercussions sur la vie du couple, sur la sexualité, la reproduction, sur l’enfant à venir…). Certes, il existe des avantages ou des accommodements comme des repos, des majorations de salaires accordés en compensation etc. Néanmoins, cela ne doit pas occulter l’impact globalement négatif sur la santé du travail nocturne.

 

Le rôle du CHSCT

L’interdiction totale du travail de nuit n’est évidemment ni souhaitable, ni envisageable.  D’autres organisations de travail sont toutefois possibles et certaines ont été largement étudiées et réfléchies.

 

L’accord sur la pénibilité au travail a prise en compte le travail de nuit comme un risque professionnel source d’une pénibilité pouvant provoquer un dommage irréversible et permanent sur la santé des salariés. Mais il est possible d’aller plus loin. A notre avis, la création d’un nouveau tableau des maladies professionnelles dédié au travail de nuit s’inscrirait naturellement dans la suite logique de la reconnaissance de ce risque. C’est ce qui va être mis en application au Danemark prochainement. En effet, le gouvernement danois indemnisera les femmes atteintes et ayant travaillé la nuit durant plusieurs années, que ces horaires nocturnes aient été permanents ou alternés avec le travail de jour.

 

Dans ce cadre, le CHSCT a toute sa place dans la réflexion sur la prévention de ce risque professionnel. Aussi, celui-ci devra être vigilant à toutes les situations de travail qui exposeraient les salariés au travail de nuit et plus particulièrement les femmes. Depuis longtemps, au cours de ses expertises auprès des CHSCT, Technologia, tient compte du travail de nuit comme facteur aggravant et potentialisant des dommages sur la santé des salariés par effet combinatoire avec des expositions à des agents physiques et chimiques dangereux.

 

Patricia Mouysset (responsable pôle Chimie-Toxicologie)

 

Cet article a été publié la première fois sur le site Miroir social.

 

 

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