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Entre contrôle et confiance : la géolocalisation, un risque pour l’entreprise (1/2)

23 juin 2012

La géolocalisation est un principe permettant de connaître la position d’un équipement ou d’une personne d’après ses coordonnées géographiques transmises en temps réel ou en différé. Depuis quelques années, ce type de dispositif s’étend et se déploie autant dans le domaine privé que professionnel. Dans le monde du travail, on le trouve à l’œuvre dans des secteurs comme le transport et la logistique, la santé ou encore les sociétés de services. C’est le cas en particulier des techniciens de service amenés à effectuer des actions préventives (maintenance) ou curatives (dépannage) sur des équipements.

Alors que ces techniciens bénéficient en général d’une relative autonomie et peuvent ainsi gérer plus ou moins librement leurs déplacements et l’organisation de leurs tournées, les entreprises font désormais valoir un certain nombre d’arguments pour mettre en place des boitiers de géolocalisation dans les véhicules d’entreprise. Parmi ceux-ci, on avance régulièrement la sécurité des véhicules et des salariés, l’optimisation des tournées, ou encore une meilleure gestion de la flotte automobile et du carburant.

Il ne nous appartient pas de juger de la pertinence de ce type d’arguments. On constate, en revanche, une crispation réelle des salariés concernés lors de la mise en place d’une politique de géolocalisation. D’après l’expérience du cabinet Technologia, l’acceptation d’un tel projet par les salariés est souvent délicate car il est difficile de garantir aux salariés le bon usage des données recueillies. Leur crainte porte sur les possibles dérives dans l’utilisation de l’outil, notamment au niveau local, car les logiciels associés au dispositif permettent de vérifier l’emplacement géographique des véhicules et donc l’activité réelle des salariés.

Toutes les entreprises de service connaissent des situations d’abus de l’autonomie qui est laissée aux salariés ainsi que des entorses au règlement. On relève généralement des cas d’utilisation du véhicule de service en dehors des horaires de travail (généralement possible durant les astreintes) ; des techniciens prennent ou quittent systématiquement leur poste en retard ou en avance. Ces abus ne concernent en réalité qu’une minorité de salariés, la plupart du temps plus ou moins déjà repérée. Pourtant, la géolocalisation des véhicules reste très fréquemment associée au « flicage » des salariés.

Quelle est la réalité du travail de terrain des techniciens de service ? Dans la mesure du possible et selon l’activité et la charge de travail, les techniciens s’organisent en adaptant individuellement leurs horaires. C’est le principe du « donnant-donnant », largement revendiqué par ces populations : la direction laisse une relative autonomie et le technicien s’investit à hauteur de sa conscience professionnelle.

Les projets de géolocalisation remettent en cause ce principe. Les techniciens ressentent alors ce qui s’apparente à une perte de confiance de la direction. Tout pose question : la mise en évidence d’anomalies telles qu’un détour effectué par le technicien, une immobilisation prolongée du véhicule, l’arrêt du véhicule en dehors des lieux d’intervention ou encore la présence de plusieurs véhicules sur un même lieu d’intervention font craindre d’éventuelles sanctions. Les marges de manœuvre dont disposaient les techniciens avant la mise en œuvre de la géolocalisation se voient ainsi menacées.

A la défiance ressentie répond ensuite une perte de confiance des techniciens envers la direction qui se traduira alors par une « désimplication » du personnel. Pour ne pas avoir à se justifier continuellement, les salariés vont avoir tendance à rester dans le cadre strictement défini par la loi et conventions collectives.

A cet égard, l’utilisation du dispositif de géolocalisation comme outil de sanction impose à l’employeur un contrôle au plus près de la réalité du terrain et donc une lourde charge de travail. L’activité reposant sur une part d’imprévu, pour les dépannages notamment, les responsables du traitement des données de géolocalisation doivent être pleinement conscients de la réalité du terrain et ne pas interpréter un éventuel écart sans avoir eu de retour direct du salarié concerné. La CNIL rappelle à ce sujet que « le traitement d’informations relatives aux employés doit être proportionné à la finalité déclarée c’est-à-dire qu’il doit s’effectuer de façon adéquate, pertinente, non excessive et strictement nécessaire à l’objectif poursuivi ».

Plus que jamais, l’irruption de ce type de techniques implique un dialogue de qualité en amont et des relations fluides entre les techniciens et leurs managers en aval.

Au départ du projet, l’information des salariés et le respect de la réglementation apparaissent comme primordiales. En préalable à tout déploiement d’un tel dispositif, l’employeur doit se rapprocher de la CNIL  (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). Dans le cadre de la géolocalisation des véhicules, une déclaration de conformité à la Norme Simplifiée 51 (NS-051 du 16 mars 2006) est obligatoire si le projet respecte les prescriptions de cette même norme. Dans le cas contraire, l’employeur devra faire une déclaration normale s’il outrepasse le cadre défini. L’objet de cette déclaration est de ne pas risquer de « porter atteinte à la liberté d’aller et venir anonymement et au droit à la vie privée » par le traitement des données à caractère personnel relevées. Cette norme simplifiée est une recommandation portant à la fois sur les finalités du traitement, les données traitées, les destinataires des données, la durée de conservation, l’information et les droits des personnes et enfin sur la sécurité des données.

Par ailleurs, la communication vis-à-vis des salariés et des représentants du personnel doit être claire et détaillée concernant l’usage des données recueillies afin de limiter les effets sur le collectif de travail. L’acceptation du projet sera alors favorisée par une campagne d’information claire et transparente faisant participer les salariés avant et après le déploiement. Il s’agira de prendre en compte au mieux leurs remarques et agir en conséquence. La possibilité proposée aux techniciens de désactiver la géolocalisation des véhicules permet également de garantir le respect de leur vie privée (notamment lors de l’utilisation du véhicule à la pause déjeuner ou durant les périodes d’astreinte), mais aussi la confidentialité des déplacements des IRP (Institutions Représentatives du Personnel) dans l’exercice de leur mandat.

Enfin, l’employeur doit être conscient que le déploiement de la géolocalisation des véhicules risque d’engendrer une rupture entre la direction et ses employés et affecter directement la culture même de l’entreprise, d’autant plus si l’ancienneté des salariés est importante. Ce qui est en jeu à travers ce type de projet, c’est la perte de sens au travail des techniciens, conduisant généralement à un désengagement et un désinvestissement. La qualité des prestations et la relation clientèle peuvent être alors directement touchées et impacter l’activité de la société notamment dans le gain d’appels d’offre.

Il est donc impératif pour l’employeur d’estimer au préalable si le déploiement d’un tel équipement et le traitement des informations recueillies apparaissent proportionnés par rapport aux objectifs escomptés. Il doit également s’assurer que le dispositif représente une amélioration certaine de la situation de travail vécue par les salariés concernés. Pour ce faire, une période de tests doit être mise en place et les résultats obtenus être concluants.

Baptiste Pelle (Consultant ergonome)

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