La ministre du travail, Élisabeth Borne, répète que le télétravail est une « obligation », partout où il est possible. Les juristes, eux, contestent cette affirmation, même sous la menace du Covid-19.
Le protocole sanitaire du ministère du travail à l’intention des entreprises, dans sa version du 29 octobre, ne laisse guère le choix : « Le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance. » Pour qui n’aurait pas compris, la ministre Élisabeth Borne répète depuis le début du deuxième confinement que le télétravail n’est pas une « option » mais une « obligation », menaçant les contrevenants de « sanctions ».
Une semaine après le retour des attestations, impossible de déterminer la part des salariés exerçant à domicile. Le 3 novembre sur RTL, le ministre de la santé, Olivier Véran, assurait, sans les donner, que « les chiffres du télétravail attestent que les entreprises jouent le jeu et les salariés également ». Les données relatives aux déplacements laissent pourtant penser que le nombre de télétravailleurs est bien moins important que lors du premier confinement, plus strict.
« Une obligation sans texte n’existe pas »
Premier accroc dans le discours de l’exécutif : l’« obligation » martelée par Élisabeth Borne n’en serait pas une. « L’État ne peut pas imposer le télétravail à une entreprise, campe Stéphane Béal, directeur du département droit social au cabinet Fidal. La déclaration d’une ministre n’est pas un texte [de droit positif]. Le protocole n’est pas un texte. Et une obligation sans texte n’existe pas. »
Le protocole national adressé aux entreprises n’a « pas de force obligatoire », souligne encore l’avocat. Le Conseil d’État, dans une décision publiée le 19 octobre, a ainsi considéré le document comme un « ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 ».
Obligation de santé et de sécurité de l’employeur
Pour autant, les entreprises n’ont pas toute latitude pour rejeter le télétravail. Le code du travail les oblige à prendre les « mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Stéphane Béal conseille donc d’analyser le recours à celui-ci à l’aune de l’obligation faite à l’employeur.
« Puisque le télétravail permet de limiter les interactions et donc les contaminations, on peut considérer que c’est un moyen à la disposition des employeurs pour respecter cette obligation », analyse-t-il. Le non-recours au télétravail ne constitue donc pas, à lui seul, une faute de l’employeur susceptible d’être sanctionnée. Néanmoins le refus du travail à domicile, ou les défauts dans son organisation, pourrait engager sa responsabilité s’il caractérisait un manquement à son obligation de santé et sécurité.
« De la pédagogie informationnelle »
« L’employeur qui fait fi des recommandations du protocole et qui aurait des problèmes de contamination pourrait voir sa responsabilité engagée, confirme Jean-Claude Delgènes, président du cabinet de prévention des risques professionnels Technologia. Mais le télétravail n’est pas une obligation écrite gravée dans le marbre.
Au ministère du travail, on maintient qu’« un travailleur qui peut effectuer toutes ses tâches en télétravail doit le faire 5 jours sur 5 » et que « ne pas respecter le protocole pourrait être qualifié par un juge comme un manquement ». « Ils sont dans leur rôle, mais c’est plus de la pédagogie informationnelle », observe Jean-Claude Delgènes, qui conditionne la réussite du télétravail au « dialogue dans les entreprises » : « Si ça vient
d’en haut, ça ne marchera pas. »
Corentin Lesueur,
Article La Croix, le 06/11/2020 à 11:21, modifié le 06/11/2020 à 15:02.